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La beauté d’une illusion

 

Tamy Pickering

 

 

   La brise printanière est légèrement fraîche, mais confortable. Installé à une table majestueusement dressée sous un saule florissant, on peut voir l’orchestre entamer un air de jazz populaire. Les rires et cris fusent d’un peu partout et augmentent en intensité au même rythme que les flûtes de champagne se vident. On se croirait presque dans une des magnifiques soirées de Jay Gatsby. L’œuvre de F. Scott Fitzgerald qui relate l’histoire de ce personnage mystérieux ne s’intéresse pas seulement à l’été de M. Gatsby sur la côte est près de New York, mais elle propose aussi une réflexion captivante sur la société américaine des Années folles et ses différentes classes sociales. Avec une multitude de détails, cette œuvre plonge le lecteur dans un univers enivré par le rêve, le temps d’un été.

 

   Francis Scott Fitzgerald, né en 1896 et décédé en 1940, est un écrivain américain considéré comme étant le chef de file de la Génération perdue et un représentant de l’Ère du Jazz. Il est celui qui a lancé la carrière de l’écrivain Ernest Hemingway, et son nom a été donné à un prix littéraire français en 2011. Ses genres de prédilection sont le roman et la nouvelle, bien que Fitzgerald ait touché à plusieurs autres genres.

 

   Gatsby le magnifique raconte l’histoire tragique du personnage éponyme à travers la voix de Nick Carraway. Ce court, mais grand roman retrace un été, pendant les Années folles, durant lequel Nick fait la rencontre de nouvelles personnes, mais aussi d’un nouveau monde : celui des riches. Rapidement, il se lie d’amitié avec Jay Gatsby, qui requiert son aide afin de reconquérir Daisy, ex-amante de Gatsby et cousine de Nick. Le récit, qui regorge de descriptions détaillées et précises, se situe environ un an après que les événements funestes de cet été de 1922 se soient produits. Nick Carraway rend ainsi hommage au personnage de Jay Gatsby dès les premiers paragraphes, et ce, jusqu’au tout dernier, dans l’espoir que l’on ne l’oublie pas.

 

   Dans cette œuvre, dont les personnages fêtards tiennent des propos en apparence superficiels, se cache un message beaucoup plus complexe et subtil qui fait l’intérêt de cette œuvre. Alors que l’on suit l’histoire des personnages, en particulier celle de Jay Gatsby, Fitzgerald décrit fidèlement la fête perpétuelle que représente la décennie précédant le krach de 1929. L’auteur exploite trois thèmes fondamentaux présents dans la société de l’entre-deux-guerres en les faisant incarner par ses personnages. On se trouve donc en présence de trois thématiques et de leur opposé : la richesse et la pauvreté, les apparences et la vérité, le rêve et la réalité. Ces trois thèmes résument l’esprit de l’époque, et Fitzgerald ajoute aux paillettes l’épanouissement de la surconsommation et l’attitude oisive des gens des années 1920, tout en rendant séduisants pour le lecteur la richesse, les apparences et le rêve. Ainsi, l’auteur propose une réflexion sur la réussite sociale et sur le bonheur. C’est avec une facilité étonnante que l’on se laisse prendre par l’illusion paradisiaque décrite par Fitzgerald, avant qu’il ramène le lecteur à la réalité avec une remise en question frappante du rêve fondé sur la consommation.

 

   La poursuite de l’idéal chez Nick Carraway, Daisy Buchanan et Jay Gatsby échoue tristement, car chacun de ces personnages est rongé par un défaut « fatal » qui le mène à sa perte. C’est à mesure que l’histoire se développe et se complexifie par la multiplication de détails, alors que l’on suit avec curiosité le cheminement de chaque personnage, que l’on peut voir leur défaut grossir pour devenir la vedette de leur histoire. Intimement liés aux thématiques présentées par Fitzgerald, ces défauts permettent au lecteur de voir que sous les perles, les billets et les flûtes de champagne, se cache une réalité beaucoup moins scintillante et attrayante, qui capte autant l’attention, sinon plus.

 

   Nick, issu d’un milieu plus modeste que celui dans lequel les autres personnages évoluent, se voit forcé de s’intégrer au « monde des riches ». On assiste donc avec un sourire en coin à ses tentatives maladroites pour y parvenir, lesquelles détendent l’atmosphère plus dramatique. Cependant, comme il n’y arrive pas, notamment parce qu’il préfère demeurer à l’écart de l’action, il finit par quitter New York à la fin de l’été. Les valeurs et le mode de vie des riches ne correspondent pas à ce que Nick désire, contrairement à ce qu’il croyait. Il agit comme spectateur de la chute des autres personnages, en plus de la sienne. C’est un personnage qui analyse son entourage minutieusement; grâce à cela, il s’avère le meilleur narrateur possible. De plus, en tant que témoin, il possède une vision beaucoup plus neutre des événements que les autres personnages, et il parvient ainsi à décrire de manière relativement objective le spectacle des situations dans lesquelles il se trouve. Le lecteur peut donc se forger avec plaisir sa propre opinion des personnages à l’aide des observations de Nick.

 

   Daisy, quant à elle, n’existe que pour l’image qu’elle projette. Elle reflète à merveille autant la bourgeoisie de l’époque que celle de la nôtre. Elle vit sans but apparent, mais elle désire tout. Ce personnage représente l’oisiveté à l’état pur, et l’on voit que son attitude ne lui procure rien, sinon la préservation de son image de femme parfaite, cela au détriment de son aspiration au bonheur refoulée. À quelques endroits dans le roman se trouvent de petits indices dissimulés minutieusement qui suggèrent que Daisy aurait raté sa vie, comme lorsqu’elle s’apitoie sur son sort ou lorsque d’autres racontent des épisodes du passé de la jeune femme. Elle choisit de favoriser les apparences et, pour cela, elle sacrifie tout ce qui pourrait lui arriver de réel. Ces divers indices sur Daisy ou d’autres personnages passent inaperçus, mais ils attirent l’attention lors d’une relecture de l’œuvre. Les détails sont si nombreux et si fins que l’on en découvre de nouveaux à chaque fois.

 

   Pour ce qui est de Gatsby, c’est un personnage aveuglé par des rêves inaccessibles. Cet espoir qu’il entretient le rend encore plus attachant, même s'il le dévore (non sans une certaine beauté), tout au long du récit, à un point tel qu’il n’arrive plus à distinguer la réalité de ses illusions. Gatsby est coincé dans son idée de reproduire le passé, peu importe le prix qu’il devra payer. Il laisse son rêve de reconquérir Daisy le consumer entièrement sous les yeux attentifs du lecteur, ce qui le pousse à tout faire pour parvenir à son objectif. Sa mort est la preuve bouleversante qu’une vie nourrie d’illusions ne peut assurer le bonheur.

 

   Gatsby le magnifique, enivré par ses rêves, finit par devenir lui-même une illusion qui ne laisse rien derrière elle, sinon un espoir fracassé sur une piste de danse à présent déserte, tandis que la fête prend fin et que le lecteur revient, à contrecœur, à la réalité.

 

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FITZGERALD,  F.  Scott.  Gatsby  le  magnifique,  Paris,  Gallimard,  2012,  [1925],  202p.  (Collection    

« Folio »,  no 5338).

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