La bibliothèque idéale
L'horreur fascinante d'Oniria
Sandrine Joron
S’endormir et vivre un cauchemar terrifiant. Celui dont on se rappelle tout sa vie. Celui qui empêche de se rendormir la nuit suivante. Tel un enfant qui appelle sa maman en pleurant, on enlace notre tendre oreiller en laissant couler quelques larmes. Tenant le lecteur en haleine avec un suspense qui donne des sueurs froides, Oniria est un roman fantastique et d’horreur, un récit plein de rebondissements du célèbre auteur québécois Patrick Sénécal.
Ayant commencé sa carrière comme professeur de littérature au cégep de Drummondville, Patrick Sénécal ne pouvait se douter qu’il se ferait plus tard surnommer le Stephen King du Québec. Ses romans policiers, fantastiques et d’horreur ont séduit le Québec très rapidement. Il a aussi adapté quelques-unes de ses oeuvres pour le grand écran et même pour la télévision.
Paru en 2004, Oniria, titre dérivé du mot « onirique », est son sixième roman. Il raconte l’évasion parfaite de quatre prisonniers, Jef, Loner, Éric et Dave, le chef de la bande, qui affirme n’être pas coupable du meurtre pour lequel il a été incarcéré. Personne ne le croit, à l’exception de sa psychologue. Alors qu’ils cherchent un endroit où se réfugier pour la nuit, Dave propose d’aller chez celle-ci. Il ne s’attend bien sûr pas à tomber sur une maison hors du commun, dotée d’une cave où se cachent des êtres effrayants nés d’une expérience scientifique de la psychologue et de son mari, une expérience ayant pour but de rendre les rêves réels. S'ensuit un huis-clos des plus terrifiants pour ces quatre hommes au passé aussi sombre que leur avenir.
Le thème de l’histoire est bien pensé et original : créer de toutes pièces une machine rendant réels les créatures terrifiantes des rêves est un coup de génie. Tout au long du récit, le lecteur découvre ces monstres en même temps que les prisonniers. Les créatures qui habitent les lieux de cette troublante cave sont le clou de cette histoire. Les personnages oniriques sont décrits par le regard des protagonistes. On donne peu de détails, mais cela crée un bel aperçu du sentiment d’effroi qu’ils procurent. L’horreur présentée dans ce récit est ambigüe : elle n’est pas dégoûtante comme dans les romans précédents de Sénécal ; elle est plutôt déroutante et porte à réfléchir sur la question de l’effroi. Par exemple, dans une partie du récit, Éric est terrifié par un des rêves présents dans la cave : un couple de parents, assis dans un salon. Rien n’est effrayant à première vue mais, pour Éric, ce sont des souvenirs refoulés qui font surface : « Éric ne peut détacher son regard du visage de l’homme, si ravagé, si maladif, comme celui… celui… celui de papa à l’hôpital quelques heures avant son décès, il avait l’air d’un mort vivant » (p.215). Par ailleurs, plusieurs parties du roman suggèrent au lecteur ce qui terrifie ou désarçonne les personnages. Ainsi, alors que Loner s’apprête à découvrir le visage de la peur absolue, aucune description n’en est faite. Sénécal laisse place à l’imagination du lecteur : « Loner, sans ciller, fixe le visage qui se relève peu à peu. Il fronce d’abord les sourcils… ses yeux s’agrandissent, s’écarquillent… et s’emplissent de l’innommable » (p.206).
Les personnages ne sont pas attachants pour le lecteur. Il n’y a même pas de place pour l’empathie envers eux. Au contraire, tout au long de leur périple dans cette cave monstrueuse, le lecteur tient beaucoup plus à les voir poussés dans leurs derniers retranchements. Car si aucun d'eux ne souffre, l’action stagnera et les questions resteront sans réponse. C’est pourquoi il est beaucoup plus intéressant de voir les personnages aller le plus loin possible dans la souffrance plutôt que de les voir se sauver. À un moment du récit, Loner devient cinglé et a des pensées meurtrières. Il découvre le moniteur permettant de sortir de la cave, mais décide ne pas s’enfuir tout de suite. Il veut en voir plus : « Il range la commande dans sa poche, prend sa hache à deux mains et alors qu’il se penche pour franchir l’ouverture dans le mur, il jette un ultime regard vers Dave et toujours souriant, lance d’une voix triomphante : - La nuit n’est pas finie » (p.296-297). Parce que l'on tient à voir les protagonistes être poussés à bout et à les voir souffrir tant physiquement que mentalement, l’histoire est particulièrement attirante et il est très difficile de décrocher du récit.
La structure du roman contribue également au sentiment de terreur du lecteur. Chaque chapitre porte, en effet, le nom d’un personnage : Dave, Zorn, Éric, Jeff, Loner, Éva, David ainsi qu’Oniria. À la fin de chaque partie, il arrive un malheur à l’un d'entre eux. Le chapitre suivant porte donc le nom de ce dernier et rapporte des événements de sa vie antérieure jusqu’au moment où il arrive quelque chose à un nouveau personnage, et ainsi de suite. Cela crée un suspense constant chez le lecteur. Comme le texte se présente sous forme de « roman-clef », il est très difficile d’en arrêter la lecture. Pour savoir si le personnage est sauf, il faut sauter au prochain chapitre qui raconte son passé et ses raisons d’agir. Voilà une raison de plus de craindre la lecture de ce roman qui hypnotise le lecteur et qui, sans aucun doute, lui rappelle ces affreux cauchemars qui ont hanté son enfance.
_______________________________
SÉNÉCAL, Patrick, Oniria, Lévis, Alire, 2004, 300 p.
